Par Benjamin Masse-Stamberger*
Le grand oral du président de la République, dimanche soir, a clarifié la nature profonde de son projet.
Après l’interview d’Emmanuel Macron, dimanche soir sur TF1, les intentions du président en matière de politique économique sont désormais plus claires. S’il n’a pas complètement dévoilé son jeu, il en a dit – et fait – assez pour qu’on puisse saisir où, et par quelles voies, il compte emmener le pays. Il s’agit en fait d’un projet néolibéral classique, mais qui ne s’affiche comme tel que progressivement.Tentons de démêler le vrai du faux.
Exit d’abord le « En même temps » qui avait fait les beaux jours de la campagne : le candidat promettait à la fois plus de flexibilité pour les employeurs et plus de sécurité pour les salariés ; plus d’efficacité économique et plus de justice sociale.
À la lumière des premiers mois du quinquennat, il est aisé de constater que cette promesse d’équilibre n’a pas été tenue. La réforme du marché du travail fait la part belle à la flexibilité, tandis que les mesures de « sécurisation des parcours » (formation, assurance-chômage…), sont remises à plus tard. De même, s’agissant du budget, il suffit d’observer les mesures fiscales, largement ciblées sur les plus aisés, pour comprendre que l’on a privilégié une efficacité économique présumée – encore celle-ci dépend-elle du bon vouloir des « premiers de cordée » – plutôt que la justice sociale.
Un nouveau packaging pas convaincant
De manière plus révélatrice encore, les mesures spécifiquement destinées aux plus riches, comme la suppression de l’ISF, sont mises en œuvre immédiatement, tandis que celles qui concernent les catégories moyennes et populaires sont, sinon remises à plus tard, du moins étalées dans le temps. À l’image de la suppression de la taxe d’habitation, finalement étalée jusqu’en 2020. C’était pourtant une mesure-phare de la campagne de Macron, vouée à faire venir à lui les classes moyennes. A l’époque, personne ne l’avait entendu dire que sa mise en œuvre serait progressive et non immédiate.
Macron a lui-même reconnu ce « bougé » idéologique, puisqu’il s’agit désormais non plus d’une politique « en même temps », mais « en trois temps » : la libéralisation d’abord, la protection ensuite, la redistribution éventuellement enfin, via notamment d’hypothétiques mesures concernant la participation et l’intéressement. On attend de voir.
Assez logiquement, les Français n’ont pas « acheté » ce nouveau packaging, puisque, selon l’institut Harris Interactive, ils sont 61 % à ne pas avoir été convaincus par son interview. Et pour cause : puisque Macron n’a pas respecté ses promesses de campagne, pourquoi ferait-il cette fois ce qu’il dit ? Le cas de la réforme de l’assurance-chômage, qui doit être mise en œuvre en 2018, est à cet égard révélateur : là encore, il s’agissait d’une promesse-phare de la campagne, dans le registre de la protection des salariés. Le candidat avait évoqué la possibilité pour les salariés démissionnaires d’accéder à l’assurance-chômage une fois tous les cinq ans. Mais, lors de son interview de ce dimanche, le président a mis plusieurs conditions nouvelles. D’abord, ce n’était plus cinq ans, mais « cinq, six, sept ans… » Ensuite, l’accès au chômage serait conditionné au fait d’avoir un « projet », ce qui là encore est nouveau. Enfin, Macron a précisé que ces nouvelles règles iraient de pair avec un contrôle renforcé des chômeurs. « Il faut qu’on s’assure qu’il recherche bien de manière active un emploi, (…) et il faut vérifier que ce n’est pas un multirécidiviste du refus », a asséné le président. Dans le genre « mesures protectrices », on a sans doute vu mieux.
Dérapages verbaux ou message subliminal ?
Au passage, Macron a renoué avec la rhétorique méprisante qui est devenue chez lui une seconde nature, des « fainéants » à ceux qui « foutent le bordel » en passant par les « jaloux ». Des sorties de route sémantiques qui n’en sont pas, mais lui permettent surtout de délivrer un message subliminal. Et d’énoncer en creux une vérité sur la nature réelle de son projet, qu’il ne peut, ni ne veut, expliciter par ailleurs. Du moins pas encore.
L’idée est au fond que les mesures libérales sont faites pour être effectivement appliquées et mises en œuvre, alors que les mesures dites « de gauche » – protection, régulation, redistribution – sont en fait des « gadgets » marketing pour les gogos, surtout voués à faire passer la pilule. On dira qu’il fallait être bien naïf pour croire à ces promesses de nouveau monde. Sans doute. Reste qu’Emmanuel Macron a bel et bien été élu, et pas seulement par des libéraux purs et durs.
Finalement, la translation opérée par Macron est comparable à celle qu’avait réalisée François Hollande dans le cours de son mandat. L’ex-président avait été élu en prétendant pourfendre la finance, et avait finalement mené une politique social-libérale. Macron a lui été élu sur un programme social-libéral… et il conduit une politique libérale, voire néolibérale. Une symétrie pour le moins paradoxale, alors que le fils prodigue a multiplié les tacles à l’égard de celui que, dimanche soir, il n’a jamais voulu nommer autrement que son « prédécesseur ». Espérant sans doute qu’en se distinguant de son mentor, il éviterait in fine de connaître le même sort politique. L’avenir dira si cette tentative d’exorcisme électoral a produit les effets escomptés.
Benjamin Masse-Stamberger
*Benjamin Masse-Stamberger est journaliste, membre fondateur des Orwelliens. Il est notamment co-auteur de Les Grandes affaires, le pouvoir et l’argent (Ed. Presses de la Cité). Il tient le blog Basculements.
Je m’interroge du silence des médias pour nous informer de l’actualité du GOPE alors que la discrète Commission européenne aurait publié les GOPE pour la période 2017 – 2018. Serait-ce une fake news ?
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