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Modèle allemand, catastrophe au tournant

Article de Bastien Gouly, journaliste à Canal + et Non Stop Édition, publié sur Causeur.fr le 30 novembre 2016.

De François Fillon à Emmanuel Macron, nos hommes politiques vantent les vertus du fameux « modèle allemand ». Mais la France a tout à perdre à le copier. Ceux qui l’ont essayé l’ont vite regretté…

Et si le modèle allemand était en réalité un modèle à ne pas suivre ? Diantre ! Notre classe politique nous mentirait-elle sur la bonne santé économique de l’Allemagne ? Et dans quel intérêt ? Il faut bien avouer qu’ils sont peu à ne pas vanter le « modèle allemand. » Un peu de Mélenchon et de Chevènement par-ci, un peu de Dupont-Aignan par-là. Quant aux grands ténors de la classe politique actuelle, leurs yeux pétillent en évoquant la puissance allemande. Dans les discours et les arguments, elle est généralement utilisée pour attaquer la France et discréditer son modèle social. Les chiffres parlent pour eux : l’Allemagne ne déplore que 6,1% de chômage en septembre 2016 (contre 9.9% en France, au troisième trimestre), son plus bas niveau depuis la réunification de 1990.

Selon les propos du président François Hollande en 2013, cette réussite est due au « courage » allemand du début des années 2000, sous l’ère Schröder (« courage » qui lui a pourtant valu sa réélection). Des privatisations à tout-va et une libéralisation brutale de l’État-providence. Modèle suivi par son successeur, Angela Merkel. Constater le leadership allemand dans la zone euro suffit à se conforter dans cet angélisme. À entendre la majorité des commentaires politiques, l’erreur française viendrait de son conservatisme à préserver des blocages économiques. Le premier d’entre eux : le code du travail. Trop lourd pour François Bayrou. « Il fait plus de 3000 pages ! » s’était-il offusqué sur le plateau de « Des paroles et des actes », en février 2015, dans une audacieuse comparaison avec le très mince code du travail suisse. En Allemagne, il est beaucoup plus léger : 3000 pages…

Quels sont les sempiternels autres « obstacles » à l’économie française ? Une trop grande protection accordée aux salariés en CDI, la lourdeur des charges sociales pour les entreprises (qu’elles soient petites, moyennes ou grandes), la crainte de la justice prud’homale et les 35 heures. Il faut  « réécrire » le droit du travail , martelait, en 2015, le Premier ministre socialiste Manuel Valls. Avec moins de brutalité que ses voisins, la France a donc épousé la réforme. « Le minimum de ce qu’il faut faire », commente encore l’ancien président de l’Eurogroupe Jean-Claude Juncker, chantre du libéralisme et de l’austérité en Europe.

À bien regarder, nul doute, les lois Macron et El Khomri ont quelque peu assoupli notre marché du travail. Également, avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), les entrepreneurs ont pu profiter d’aides étatiques afin d’améliorer – c’était le but – l’embauche. Malgré cela, les résultats, sur la courbe du chômage, se font encore attendre.

Des “minijobs” à 80 centimes l’heure

Tous ces mécanismes pourtant sont inspirés des modèles allemand et anglo-saxon (lui, aussi, généralement vanté). Incontestablement, les « minijobs » allemands (ou le contrat zéro heure en Angleterre) – des contrats à temps partiels – ont permis de réduire le chômage.  Ce ne sont, en revanche, ni François Fillon, ni Alain Juppé, ni même Emmanuel Macron qui évoqueront les salaires de misère (plafond maximal de 450 euros par mois pour un salarié) convoyés par ces modèles. En Allemagne, cela concerne 20% de sa population active. L’Italie, l’Espagne et le Portugal, sur les recommandations de l’Union européenne, ont bien suivi le schéma de ces petits emplois précaires, si faciles à « faire sauter » pour l’entreprise. Toutefois, dans ces trois pays latins, encensés par la droite française et la gauche sociale-libérale, rien ne s’est déroulé comme le plan le prévoyait. Il y a bien eu une petite baisse du chômage, mais à quel prix ? Les réformes ont explosé chaque modèle social, sans permettre de recouvrer une sérénité économique et politique. Les inégalités se sont creusées, la pauvreté a augmenté (le nombre de sans-abri grimpe, des maladies qu’on croyait éradiquées refont leur apparition et la malnutrition infantile inquiète, particulièrement au Portugal), les services publics (à commencer par les hôpitaux) sont dans un état catastrophique et les jeunes diplômés, sans espoir, fuient massivement leur pays.

Quant à l’Allemagne, sa situation n’a rien de reluisante : outre-Rhin, l’écart entre les pauvres et les riches ne fait, là aussi, que s’amplifier. En 2015, près de 12,5 millions d’habitants y vivaient sous le seuil de pauvreté (15,29 % de la population), seuil étant fixé à 892 euros en Allemagne contre 935 euros en France, où, selon l’Insee, 4,9 millions d’habitants sont sous ce plafond (7,28 % de la population).

Des usines de 30 000 porcs

La prétendue « réussite » de l’Allemagne est due à sa violence dans les rapports avec ses partenaires. Elle n’a pas de scrupules à concurrencer par un dumping social ses voisins, comme les salariés français – paysans en tête. L’alliance européenne a bon dos…

Parmi les attaques économiques : l’agriculture. Le choix allemand s’est orienté vers la surproduction, la culture intensive – sans recherche de qualité, comme dans les fermes à 3000-4000 vaches des « Länder » de l’Est. Aucune chance pour les exploitations françaises, de quelques dizaines de vaches, de les concurrencer, sauf à fabriquer des « fermes » à mille vaches. Il en est de même pour la filière porcine : l’Allemagne a créé des « usines » de 10 000 à plus de 30 000 porcs.

La paysannerie est, là bien loin de sa vocation nourricière (au sens noble) et de la recherche de qualité. L’avenir de l’agriculture française est morose et ce n’est pas un chèque de consolation, donné par l’État, qui lui donnera de la visibilité. La lutte est impossible. D’autant plus que l’Allemagne s’amuse à une concurrence totalement déloyale en employant des travailleurs détachés de l’est, des Bulgares, des Roumains, des Polonais, plus ou moins déclarés, payés quelques euros de l’heure. Au final, leur viande est vendue 20% à 30 % moins cher que notre production. La France ne peut suivre un modèle qui met en péril la santé et la condition même de l’humain comme de l’animal.

100 000 emplois destinés aux réfugiés

Les logiques économiques de l’Union européenne tendent à vanter ce canon productiviste. Dès lors, il n’était pas surprenant de voir l’enthousiasme d’Angela Merkel, durant l’été 2015, à souhaiter l’arrivée massive de migrants en terre allemande. Loin d’un discours pieux et humanitaire, la chancelière avait provisoirement ouvert les vannes de l’immigration, sur les conseils du patronat allemand. Une aubaine pour provoquer la baisse des coûts salariaux et faire face au vieillissement de la population active. Les migrants permettent de concurrencer directement les salariés allemands et les poussent à travailler plus pour moins cher. Le ministère du travail allemand compte d’ailleurs créer 100 000 emplois destinés aux réfugiés, des « minijobs » à 80 centimes de l’heure…

La France devrait donc massacrer son système pour parvenir à rivaliser avec ses voisins et obtenir un bref succès à l’allemande (ou l’illusion d’un succès). Est-ce là l’idée de l’Union européenne ? Où est la recherche de la troisième voie, celle de l’innovation et du courage politique ? Pour l’heure, la France n’en vient qu’à copier les dogmes économiques existants. L’échec est assuré.

 

5 réflexions au sujet de « Modèle allemand, catastrophe au tournant »

  1. « D’autant plus que l’Allemagne s’amuse à une concurrence totalement déloyale en employant des travailleurs détachés de l’est, des Bulgares, des Roumains, des Polonais, plus ou moins déclarés, payés quelques euros de l’heure. »
    Nous faisons la même chose.Depuis quelques jours des travaux d’installation de la fibre optique sont en cours dans ma rue, les ouvriers s’interpellent dans une langue qui vient de l’est sans aucun doute.
    Dites moi qui sont les ouvriers qui travaillent sur les chantiers importants.
    Cordialement

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  2. «La France devrait donc massacrer son système pour parvenir à rivaliser avec ses voisins et obtenir un bref succès à l’allemande (ou l’illusion d’un succès). Est-ce là l’idée de l’Union européenne ? Où est la recherche de la troisième voie, celle de l’innovation et du courage politique ? Pour l’heure, la France n’en vient qu’à copier les dogmes économiques existants. L’échec est assuré. »

    Il y a pourtant une solution pour contrer le système allemand, mais par manque de courage ou par suivisme eurobeat, l’auteur de l’article se garde bien de l’évoquer :

    -1) sortie des traités actuels ou de l’UE…

    -2) sortie de l’euro pour dévaluer le nouveau Franc dans le cadre d’une relance compétitive et obliger les allemands à réévaluer le nouveau Mark. (Même effet qu’une taxation des produits allemands à nos frontières mais avec la préservation possible du libre-échange…)

    -3) sortie de la PAC et réaffectation de la contribution Française au budget de l’UE (24 milliards/ans dont 10 milliards qui financent les états membres bénéficiaires net au budget de l’UE et qui achètent leurs hélicoptères aux américains et bénéficient du dumping social de la procédure « travailleurs détachés »…) dans une logique de qualité nutritionnelle et environnementale et dans le cadre d’une inversion de l’exode rural.
    L’Allemagne joue la carte d’une production « très bas de gamme », alors que la France a toujours réussi dans l’export et peut le faire à nouveau avec les produits de son savoir-faire « haut de gamme », voire « très haut de gamme »…
    L’Allemagne fait travailler ses migrants alors que la France doit recaser ses chômeurs.

    Rester en compétition avec l’Allemagne dans l’actuel cadre communautaire qui lui est favorable en tout, représente bien plus qu’un « échec assuré » : c’est l’assurance d’un suicide national imminent…

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  3. Il est dommageable pour Emmanuel d’avoir évoqué l’Allemagne dans le discours de Samedi. Que trouve-ton dans le modèle Allemand,modèle toujours je té en marge quand il s’agit de l’évoquer.
    Qu-a-t-on à bailler devant les sourds entendements de salaires à 0.80 cmes de l’heure… qu’a-t-on à espérer vouloir confier à des étrangers nos installations économiques lors que nous avons pléthore de chômeurs… qu’a-t-on à laisser notre non moins pléthorique nombre de conseillers agir sans discrimination… notre nombreuse colonne de fonctionnaires inutiles fournir des documents dont ils n’ont pas la maîtrise par fainéantise ou plaisir de complaire…
    Pourquoi aller chercher ailleurs ce qui chez-nous n’a pas d’application car depuis longtemps supérieure.
    Serait-ce la langue qui donnerait de l’odeur ? Bailler devant un faux résultat économique serait-il devenu l’apanage de nos formés ?

    Quelle misère !

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  4. Il est en effet consternant de célébrer en permanence quelque chose qui ne fonctionne pas, en l’occurrence l’UE. L’Union Européenne n’est qu’une Union Soviétique bis, faite de propagande, d’inexactitudes économiques, de mensonges politiques éhontés proférés par nos chers Commissaires européens (en URSS, c’était les Commissaires Politiques) et d’une soumission aveugle aux désirs d’un système composé de l’Etat Profond US, lui même composé, des industries de l’énergie, de l’armement, des services de renseignements (un état dans l’état qui vit sa vie propre) et de la complicité des médias mainstream du bloc BAO.

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  5. il est abominable de constater que rien ne peut être discuté sans que l’Allemagne soit mise en avant. Mais que voit-on dans ce pays qui biffe les acquis du monde entier en employant des travailleurs à des salaires de misère et là n’est qu’un minimum.

    L’UE n’est qu’une clownerie immonde où l’on voit des gens débattre pour nous, en toute quiétude, sans que n’ayons la moindre idée de leurs sollicitudes. Marre des commissaires qui s’arrogent le statut de chef d’Etat. Marre des Fonctionnaires qui nous bavent dessus. Et je n’en citerai qu’un, le Savoyard, qui ressort à chaque mission le même blabla et ce sans jamais débattre du sujet.

    Etc. Etc.

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