Actualité·TRIBUNE DES MEMBRES

Le harcèlement anti-Poutine : de la cyberguerre à l’opération d’influence anti-Trump ?

Eric Delbecque, président de l’ACSE et coauteur avec Christian Harbulot de L’impuissance française : une idéologie ? (Uppr), observe la dénonciation de la cyberguerre russe comme la marque du crépuscule d’Obama. Pas parce qu’elle démontrerait l’incapacité américaine à mettre en échec la stratégie de Vladimir Poutine dans le cyberespace ; mais parce qu’elle sert à la Maison Blanche à exprimer toute la détestation qu’elle éprouve à voir s’imposer des rivaux sur l’échiquier géopolitique.

Il n’est pas douteux que le maître du Kremlin a décidé de ne pas laisser l’Occident imposer ses modèles culturels, politiques, économiques, sociaux ou idéologiques au reste de la planète. Sur de nombreux sujets, Poutine estime que l’Ouest glisse sur la pente du déclin, et qu’il doit par conséquent en profiter pour avancer ses pions et construire des avantages qui permettent à la nation russe de retrouver sa gloire d’antan, celle de l’époque soviétique. Cela perturbe les grilles d’évaluation du progrès politique des Européens : c’est toutefois une évidence psychologique que les citoyens russes éprouvent de la nostalgie pour la période communiste, simplement parce qu’elle coïncida avec le paroxysme de la puissance de leur nation. Il convient de raisonner à partir de cette base : leur ferveur patriotique.

Toutefois, reconnaître la volonté de puissance de Moscou ne signifie pas qu’il faut signer un chèque en blanc à Washington, et prendre les déclarations de l’Oncle Sam pour argent comptant. Car l’administration finissante d’Obama n’a pas la moindre preuve sérieuse que les services russes se soient lancés à l’assaut des ordinateurs du parti Démocrate, qu’ils aient volé des informations et des mails, et qu’ils les aient instrumentalisé dans la campagne électorale. Un faisceau de présomptions existe, sans aucun doute, mais il ne se confond pas avec une imparable démonstration. L’affirmation de la manipulation des résultats du vote par le Kremlin apparaît encore moins solide. On peut même la juger assez invraisemblable. L’anticipation de la découverte fatale d’une si grossière instrumentalisation aurait dissuadé l’Ours de l’Est d’y recourir ; les bénéfices escomptés étaient largement inférieurs aux dégâts d’image provoqués.

Il est davantage probable que les Russes aient envisagé plus rentable de favoriser la découverte par l’opinion publique des petits secrets des Démocrates ou du clan Clinton. Dès lors, on ne se situe plus dans l’espace de la cyberguerre mais dans celui de la guerre de l’information et des opérations d’influence, visant un effet psychologique et/ou idéologique.

Donald Trump est parvenu au pouvoir parce que les élites américaines ont failli, pas parce que Vladimir Poutine bricole le vote électronique ! Le Président russe sert donc d’alibi pratique aux vaincus pour réduire la légitimité des vainqueurs. Il importe au plus haut point que les querelles internes aux clans dirigeants qui s’affrontent Outre-Atlantique ne se transforment pas en outil d’analyse des rapports de force sur la scène internationale.

Pour appuyer le propos, il suffit d’examiner la manière dont les médias couvrirent le duel Clinton/Trump. On aurait pu croire que l’Apocalypse était prévue pour janvier 2017 en cas de victoire du milliardaire new-yorkais… Une autre approche était possible. Tentons de l’esquisser. L’élection de Donald Trump va-t-elle bouleverser les équilibres géopolitiques et géoéconomiques mondiaux ? Pour l’instant, nul ne peut le dire. Certes, il a prononcé quelques paroles définitives sur le Russie, la Chine, Daech, les accords commerciaux internationaux ou la politique de sécurité nationale américaine en général ; mais il était en campagne électorale… Désormais, comme président élu, il va être confronté aux réalités du pouvoir. Rien ne dit d’ailleurs qu’il va appliquer son « programme » : peut-être souhaitait-il simplement être élu, pour satisfaire un caprice infantile de milliardaire… Il convient par conséquent d’être attentif à chaque mesure qu’il prendra et aux ajustements que ses décisions produiront dans le Grand Jeu planétaire.

Ce qui est en revanche d’ores et déjà certain, c’est qu’il a réussi à pulvériser le politiquement correct occidental, entrainant ainsi derrière lui une insigne part du peuple américain. C’est à cela que Vladimir Poutine fut particulièrement attentif. Au-delà de ses outrances, il met le doigt sur la nécessité de revoir quelques « analyses » politiques qui relèvent de l’idéologie, et non pas de la rationalité stratégique. Pour que les choses soient claires, je trouve Donald Trump fort antipathique, et le personnage provocateur et brutal qu’il a composé me déplaît fortement. Mais je ne vois pas en quoi mon sentiment, comme celui des dizaines de millions de gens qui le partagent, aurait un quelconque intérêt pour diagnostiquer ce qui se noue actuellement.

Le talent de ce Républicain marginal au sein des siens (tout au moins jusqu’à présent : lorsque l’on distribue des places, on se découvre des centaines de proches, miraculeusement…) fut de croire en sa fonction tribunitienne : en faisant écho aux perceptions des couches populaires maltraitées par les gagnants de la mondialisation, il a mobilisé à son profit une puissance élémentaire ; cette dernière s’appelle le populisme dans l’esprit des bobos et de l’oligarchie européenne. Si l’on s’exprime honnêtement, froidement, on la qualifie de colère populaire face à un monde qui détruit les plus faibles dans les territoires abandonnés des Etats-Unis. S’ajoute à cela les ravages du multiculturalisme décrits avec minutie par Mathieu Bock-Côté1.

Quant aux thèmes auxquels le succès électoral de Trump nous fait réfléchir, ils sont faciles à lister. Concernant la Russie, il paraît particulièrement évident qu’il faut cesser de traiter Vladimir Poutine comme un barbare infréquentable devant lequel il convient de se boucher le nez… Négocier intelligemment avec lui s’impose comme un préalable à la résolution de dossiers épineux, de nos rapports économiques complexes avec la Chine (cela concerne tout autant l’Oncle Sam que les Européens) à la destruction de Daech. A propos du TAFTA et autres accords commerciaux désarmant les Etats au profit de quelques multinationales, il semble raisonnable de reconsidérer une vulgate libre-échangiste jamais questionnée qui engendre une paupérisation dangereuse de nombreux salariés. Et si l’on souhaite prendre un dernier exemple, citons le rôle des élites ; là encore Trump vise là où ça fait mal : les dirigeants occidentaux ne se préoccupent plus de leurs propres peuples et méprisent ostensiblement les intérêts nationaux… S’inspirer de Trump ? Certainement pas. En revanche, l’hyperclasse de l’Union européenne doit prendre rapidement conscience qu’elle sera rapidement emportée par les tempêtes impitoyables de l’Histoire si elles persévèrent dans leur mépris des humbles et la volonté robespierriste de bâtir un soft totalitarisme, « new look », dont la marchandisation intégrale des rapports sociaux et internationaux, ainsi que la soif de pouvoir narcissique d’une mince ploutocratie, constituent les motivations ultimes… Brexit, trumpisme : souhaitez-vous un autre coup de semonce mesdames et messieurs les oligarques ? Soyez vigilants : vous ignorez laquelle des prochaines colères populaires vous emportera pour de bon…

Poutine, pour le meilleur et pour le pire, constitue la seule voix qui s’oppose avec une certaine efficacité (dont on peut contester les conséquences mais qu’il faut avoir l’honnêteté de constater) aux prétentions hégémoniques des Etats-Unis. De l’Ukraine à la Syrie, l’ancien officier du KGB s’affirme comme l’unique dirigeant jouant aux échecs avec la bannière étoilée. Et ces temps-ci, il gagne régulièrement des parties…

Pourquoi ? Parce que les succès russes traduisent d’abord l’impuissance stratégique américaine, son incapacité à penser la planète autrement que sur un mode binaire : nous et eux ! L’Europe avait une place à occuper entre les deux titans : hélas, elle a choisi la position du vassal…

1 Le multiculturalisme comme religion politique (Editions du Cerf, 2016).
jh
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2 réflexions au sujet de « Le harcèlement anti-Poutine : de la cyberguerre à l’opération d’influence anti-Trump ? »

  1.  » Nostalgie pour la période communiste ?  »
    Tout ce que les Russes donnent à entendre, voir, constater et vivre à leur contact … actuellement, va à l’encontre de cette affirmation venue d’on ne sait où.
    On DOIT se poser la question des contacts réels que l’auteur aurait ou n’aurait pas EN RUSSIE par les temps qui courent. Même le parti communiste russe a abandonné toute idéologie communiste, voire même simplement collectiviste, pour ne garder que le nom, plus pour très longtemps.
    Etrange propos !

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  2. Article plein de lucidité.
    Si nous prenons la réalité de l’élection de Trump, il va falloir que l’UE se réveille et soit une véritable force pour défendre ses propres intérêts et pas uniquement ceux de l’Allemagne, ce qu’elle a oublié depuis longtemps. Ne parlons pas de Hollande qui est un vrai “toutou” d’Obama et de Merkel ni de Merkel qui parle en permanence au nom de l’UE.

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