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Requiem pour les notes

Accueil : cinq biscuits, deux cafetières pour la communauté

Dans un collège de France comme dans de nombreux autres, des journées sont organisées par les inspections, pilotées par l’inspection générale, elle-même pilotée par le ministère de l’éducation nationale afin de prêcher la bonne parole du Renouveau pédagogique (tout parallèle avec Vatican II serait vain, il serait plus utile d’aller se renseigner sur le fiasco scolaire québécois pour en apprendre plus).
Donc, dans une grande salle de convivialité, qui comporte – Oh, outrage à la transmission horizontale – une estrade (!!!) sont convoqués tous les enseignants d’une discipline d’un secteur géographique donné.

Pour détendre tout le monde avant la « grand messe », un café, des gobelets en plastique et quelques gâteaux secs (viennoiseries dans les périodes fastes) ; la conversion des cœurs passe d’abord par une mise en bouche… Les professeurs qui se sont croisés au gré de leurs périodes de remplacement, se retrouvent. Il faut bien quelques avantages à être flexi-prof (de plus en plus d’enseignants affectés sur plusieurs établissements ; logique à l’heure du « travail d’équipe »); au moins, on connaît du monde.
Redevenu élève le temps d’une journée, l’enseignant est joueur et rechigne à s’installer. En grande professionnelle  des « ficelles pédagogiques », l’inspection a un argument imparable : si on commence maintenant, et qu’on écourte à midi, vous sortirez plus tôt. Ou comment entrer en matière en passionnant son public…

Soyez les apôtres de la pensée standardisée

Commence alors la longue invocation des nouveaux programmes et de leur mise en œuvre. Et la question cruciale « des attendus ». Le mystère demeurera sur l’identité des prescripteurs d’attendus… les politiques qui veulent acheter la paix sociale par une formation bradée ? Certains décideurs du monde du travail, ravis que les exigences au rabais permettent une stratification scolaire s’emboîtant avec les inégalités de qualification et rémunération ? Une institution dévouée qui a renoncé à l’exigence au nom de la bienveillance ? Les grands prêtres eux-mêmes se soumettent au grand architecte inconnu. Belle preuve de foi.
La litanie est longue : socle, différenciation, îlots, numérique, coopérer, mutualiser (les infinitifs sont très à la mode depuis la mise à mort de la conjugaison fortement encouragée par les Grenellocrates), parcours, autonomie, tablettes et créativité.

Et tout contrevenant se voit asséner ce nouvel Évangile : il n’y a aucune opposition entre compétences, connaissances et culture. C’est simplement notre vision latine qui a du mal à comprendre la vision anglo-saxonne. (On est donc dans le darwinisme culturel : s’adapter aux standards mondiaux pour ne pas dépérir ?…)

Le dogme : une sainte trinité procède à l’affirmation du socle :
– les cycles permettent de se donner le temps sur 3 ans pour acquérir les compétences (traduire : pas de redoublement = économies très substantielles)
– des bilans de période et annuels figurent dans une nouvelle Bible : le LSUN (Livret Scolaire Unique Numérique). Très bizarrement, il semble qu’il ait droit, de par son caractère sacré, de contrevenir aux recommandations de la CNIL… (attention, « les bilans de période sont sommatifs sur le plan des contenus disciplinaires mais formatifs quant à l’acquisition des compétences » (sic) ; c’est limpide ; on sent le contact fréquent avec les élèves là… (zyva kèckidi lekeum ???)
– l’objectif poursuivi : que 100 % des élèves obtiennent leur DNB (le Graal !!!)

Faire confiance à son prochain (l’élève) dans une sérénité philosophique :

Dans des accès philosophiques, une inspectrice donne dans la psychologie de comptoir (« l’élève doit savoir ce qu’il doit faire, doit proposer des démarches, doit trouver des étapes ») digne de Mme Robine permettant au professeur de faire pipi, de surfer sur facebook, d’aller boire un café (comme il passe son temps à le faire). Cet apprenant, bon élève de Socrate (le prof servait à quelque chose dans la Grèce ancienne), féru de maïeutique (il sait tellement de choses) et soucieux de méthodologie nous fait penser avec un sourire nostalgique à Platon et Descartes. Le professeur, lui, doit être un genre de Barthes se posant toujours la question des éléments signifiants (au moins 10 occurrences dans la bouche de l’inspectrice) que les élèves doivent trouver ou retrouver.

Soyez charitables !

En guise de lecture, trois exemples de copies type paragraphe (euh pardon, « développement ») truffées de fautes de syntaxe et d’orthographe, mais aussi parfois de grossières erreurs et confusions, nous sont projetées.
Devant nos mines effarées, le verdict tombe sans appel : elles sont satisfaisantes.

Et, comme elles sont satisfaisantes, donc niveau 3, elles méritent, au brevet, la note maximale, à savoir 50 (alors que normalement c’est pour le niveau 4, et 40 pour le niveau 3), mais bon, la bienveillance par temps électoraux à bon dos.

Donc, exit le barème (même s’il y aura des « fourchettes »), la précision… La « docimologie » (science de l’étude des notes ???!!!) montre d’ailleurs qu’une note n’est jamais absolue, jamais objective…. En gros les chiffres ne servent à rien. Comme le prouvent la puissance des algorithmes et les règles des marchés financiers d’ailleurs…

Atelier (non créatif, mais plutôt « rééducatif »)

Ensuite, lors d’un (mauvais) atelier, un formateur très content de lui, très compétent (à  prononcer avec une césure), nous le professe : « si seulement ils avaient pu supprimer les notes, au passage ils auraient supprimé le brevet ; l’important c’est les compétences (….) le problème c’est que le passage de la notation par compétences à une notation par note peut faire très très mal au lycée » ; lorsque je marmonne que le passage de la compétence au salaire peut être compliqué aussi, il prend un air sévère…

À  la question d’une collègue qui l’interroge sur les méthodes de remédiation (pour que les élèves fragiles acquièrent des choses même sans redoubler), il répond : « en disant ça tu me fais penser à une gamine que j’avais l’année dernière », mais reste incapable de répondre au problème de fond : on fait comment quand ils n’ont pas compris, pas acquis, et qu’on va leur donner le diplôme, pour qu’ils aient un bagage minimum ?

Ce monsieur, novateur, nous explique que, de toute façon, les îlots c’est génial avec les tablettes, que vraiment il ne faut jamais ramasser les copies dans le même ordre (il a inventé l’eau tiède là), ni les classer (le truc qui n’existe qu’en prépa et qu’on ne pourra plus faire quand il n’y aura plus de notes).

N’ayez pas peur !

À  l’issue de cet atelier, quelques questions très pratiques aux inspecteurs : dans la mise en œuvre des nouveaux programmes, faut-il toujours étudier les institutions de la République romaine, le fonctionnement de l’ONU, faire les institutions judiciaires en France… ?
L’inspectrice, outrée, reprend l’intervenant « Vous vouliez dire amener les élèves à questionner la justice en fonction de leurs représentations ? » ; l’inspecteur, plus honnête et humain, avoue que c’est peu clair.

Mort des notes pour la résurrection du niveau
Depuis déjà une dizaine d’années, les notes ont trépassé dans la majorité des écoles primaires (euh, pardon, cycles des apprentissages fondamentaux) ; les compétences (qui pourtant pourraient être notées au pire) justifieraient qu’on les abandonne au profit d’émoticônes, ceintures, ronds de couleurs, ou qu’on les simplifie à l’extrême. C’est vrai, pourquoi être précis ?  Avoir 12 c’était « assez bien » pour les mentions avant. Maintenant, on raisonne par score : 10 points pour le niveau « maîtrise insuffisante », 25 points pour le niveau « maîtrise fragile », 40 points pour le niveau « maîtrise satisfaisante », 50 points pour le niveau « très bonne maîtrise ». Ou encore niveaux 1, 2, 3, 4 (avec des variables d’un établissement à l’autre qui font qu’on quitte le cadrage national).
Mais, la bonne nouvelle, c’est que le dieu Grenelle est généreux car la « maîtrise satisfaisante » signifiera à l’examen « très bonne maîtrise » et donc le score maximal. Il faut bien trouver les 100% d’élèves ayant obtenu la maîtrise du socle.
Voilà la bonne nouvelle : la note est morte ; vous serez tous sauvés ! Et surtout la vérité (?) rend libre !

Constat amer d’une enseignante effarée, avril 2017

5 réflexions au sujet de « Requiem pour les notes »

  1. Nous avons subi une animation afin de réfléchir sur l’évaluation de l’ expression écrite ou rédaction ou …???( Je ne sais plus quel est le terme à la mode). Seules les idées sont à prendre en compte. Tout le reste est superflu…Il ne faut pas risquer la surcharge cognitive. J’ai proposé d’évaluer à l’oral . Il paraît que je fais du mauvais esprit.

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    1. Rédaction ou « production écrite » peut-être? Vous faites référence à la tâche où l’apprenant mobilise ses compétences transversales afin de libérer son potentiel créatif? L’évaluation passe ici par le contact prolongé entre un référentiel scripteur rose (ou turquoise) et un support quadrillé blanc.

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  2. Bonjour,
    C’est parfaitement pensé et aussi parfaitement rédigé, ce qui ne gâche rien … J’ai même, de temps en temps, ri! alors que c’est dramatique. En Belgique, nous allons dans la même direction et cela m’effraye … Que vont devenir nos jeunes? Faudra-t-il qu’ils touchent le très fond pour que la génération suivante ou post-suivante puisse enfin remonter? Que de douleurs, que de souffrances à devoir subir par eux. Et si plus personne ne pense, ni ne réfléchit … comment remonter?

    Et cette manie infernale de la pensée unique toute faite … noir/blanc, bon/mauvais, gentil/méchant …

    Merci et avec tous mes respects.

    PS: Pourquoi l’auteur(e) ne signe-t-il/elle l’article dont il/elle devrait être fier/fière? Crainte des représailles?

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  3. Si je puis me permettre, une « petite » coquille s’est glissée à la fin du 2ème paragraphe de Soyez charitables ! : la bienveillance par temps électoraux à bon dos.
    Ce commentaire n’apportant rien d’autre à cet article d’un aussi amusant que dramatique constat, l’administrateur peut le supprimer une fois sa prise en compte.
    Cordialement.

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