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La pensée fermée du projet européen

Cet article a été publié sur le site de l’IDDE (Institute for Direct Democraty in Europe) le 24 février 2016.

Thierry Baudet est un historien, juriste et essayiste néerlandais. En 2015, il devient un auteur à succès en publiant l’ouvrage Indispensable frontières, pourquoi le supra nationalisme et le multiculturalisme détruisent la démocratie aux éditions du Toucan.

Lorsque je discute avec des adeptes du projet européen, ce qui ne manque pas d’arriver régulièrement, je leur pose toujours la question suivante : “Que faudrait-il démontrer, ou que devrait-il se passer pour vous faire changer d’avis?”. La question est de Karl Popper, qui voyait dans la possibilité de répondre à cette interrogation l’ultime critère d’une approche rationnelle, scientifique. Il nommait cela : la réfutation. Celui qui avance une thèse – par exemple que l’intégration européenne est nécessaire ou importante – doit ensuite indiquer ce qu’il faudrait démontrer ou ce qui devrait arriver pour infirmer cette thèse. S’il n’y arrive pas, c’est qu’il n’a pas d’opinion rationnelle ou scientifique, mais une opinion religieuse ou idéologique.

Popper, avec cette question, a su démasquer le marxisme. La pensée que l’histoire est l’expression d’une “lutte des classes” et qu’un jour ou l’autre éclatera une “révolution mondiale” ne peut être en aucun cas réfutée. C’est une théorie fermée, avec une vision tournée vers le passé (“l’oppression”) et une vision de l’avenir (“la révolution”), et rien ne peut ébranler cette théorie. Le marxisme fournit une explication à tout ce qui peut arriver. Si la classe ouvrière se révolte, c’est une confirmation de la théorie marxiste. Si la classe ouvrière ne se révolte pas, c’est aussi une confirmation de la théorie marxiste, car dans ce cas il y a preuve que la classe ouvrière est opprimée. Face au constat que la révolution ne se déclenche pas, la conclusion des marxistes est la suivante : « Nous devons fournir de meilleures explications ». Quoi qu’il arrive, on ne doit jamais douter de la parole de Karl Marx.

C’est exactement ce qui se passe avec l’idée européenne. Ainsi, je n’obtiens jamais de réponse à ma question : Qu’est-ce que quelqu’un devrait démontrer ou ce qui devrait se passer pour faire changer d’avis les partisans de l’idée européenne ? Au lieu d’une réponse claire à cette problématique, j’entends la répétition rituelle des arguments officiels de l’ UE. Il y a eu la guerre dans le passé, dans l’avenir on aura l’unification. Si l’on attire l’attention sur le rôle bien plus important de l’ OTAN dans cette paix, sur la Guerre froide, sur la naissance d’une l’Allemagne démocratique, sur les développements démographiques et technologiques, la réponse est alors la suivante : « L’UE conduit à la prospérité ». Si l’on précise que le commerce est aussi possible sans la bureaucratie de Bruxelles et que l’euro a conduit plusieurs États membres au bord de la ruine économique, on s’entend répondre que l’intérêt véritable de l’ UE est de former un bloc contre les puissances émergentes, comme la Chine et le Brésil. Expliquer à son interlocuteur que l’ UE anéantit justement la grande et unique force de l’Europe, principalement la diversité administrative et culturelle, et que tous les évènements significatifs de l’histoire européenne comme la Réforme, les Lumières et la Révolution industrielle, ont justement pu avoir lieu grâce à cette décentralisation, c’est alors s’entendre répondre que nous ne devons pas oublier que nous avons 60 années de paix derrière nous. Et l’on revient au point de départ.

Lorsque la population vote contre une plus grande unification européenne, par exemple par des référendums, l’européiste comme le marxiste conclut par la maxime suivante : “Nous devons fournir de meilleures explications”. Lorsqu’un outil mis au point par le régime de Bruxelles ne fonctionne pas, par exemple l’euro, c’est parce que “l’introduction de l’euro a eu lieu trop tôt”. Et si vous mentionnez enfin que les pays scandinaves n’accepteront jamais un pouvoir fédéral à Bruxelles, vous entendez alors un plaidoyer pour une “Europe à deux vitesses”.

Deux vitesses – cela donne l’impression d’une vision du monde ouverte. En réalité cela signifie que nous avançons sur la même route, dans la même direction, mais que l’un va plus vite que l’autre. L’europhile ne peut imaginer deux directions. En effet, il n’y a qu’une seule direction : l’histoire n’a qu’un seul but. Les uns vont plus vite (première vitesse), les autres sont à la traîne (seconde vitesse) – mais personne ne peut se méprendre sur l’objectif final.

Alors que les populations ne le veulent pas, que le centralisme de Bruxelles ne fonctionne pas, que les économies du sud de l’Europe s’effondrent, que des centaines de milliers de gens manifestent leur mécontentement à travers le continent, qu’on assiste en Grèce à un scenario à la Weimar, le défenseur du projet européen n’en tire qu’une seule conclusion : davantage d’Europe. Sa vision du monde est aussi hermétique que celle du marxiste, et elle ne s’adapte en aucune manière à la réalité. Plus d’un demi-siècle après la publication de Karl Popper The Open Society and its Enemies (La société ouverte et ses ennemis), la pensée fermée est encore présente parmi nous, bien vivante et soutenue par la majorité de nos élites désespérantes.

Une réflexion au sujet de « La pensée fermée du projet européen »

  1. Quand on pose la question de l’UE aux politiciens aucun n’est capable de dire s’il existe une autre proposition politique. Ils sont évasifs sur la question et ne savent pas l’aborder. Donc, ils restent dans l’UE même s’ils savent que cela fera mal au plus grand nombre.

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