Marie Balmary, psychanalyste et écrivain, publie régulièrement des recherches sur les fondations de la parole dans nos mythes et récits d’origine. Elle se penche ici sur le dernier morceau musical choisi pour l’investiture d’Emmanuel Macron à l’Élysée, « l’Air du champagne » du Don Giovanni de Mozart, dont le personnage éponyme « finit mal ». Faut-il interpréter cela comme un avertissement ?
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p style= »text-align:justify; »>Notre Président, en homme particulièrement cultivé et attentif aux symboles, avait soigneusement composé le programme musical de son investiture à l’Élysée. Programme parfaitement approprié, avec cependant un dernier choix qui a étonné ceux qui connaissent cet air, l’un des plus brillants de Mozart.
Voici le détail de ce programme dans le commentaire de Laure Mézan, Radio Classique : « J’ai l’impression qu’Emmanuel Macron a choisi à la fois des musiques assez institutionnelles et protocolaires – […] Cyprès et Lauriers de Saint Saëns, […] et la musique de Berlioz (« L’Apothéose »), […] A côté de cela on a pu entendre des œuvres assez légères et pétillantes, que ce soit la musique d’Offenbach, avec l’Ouverture d’Orphée aux enfers, la Danse hongroise N°5 de Brahms et surtout « l’Air du champagne » de Don Giovanni de Mozart. »
Surtout ? En tout cas, le seul air chanté de ce moment solennel. Des paroles, donc, une histoire. Pourquoi Emmanuel Macron a-t-il choisi de nous emmener au premier acte de Don Giovanni ? Certes, ce morceau était particulièrement adapté à la circonstance puisque, dans l’opéra même, il ouvre une fête.
Cependant, il y avait sans doute plus que cela dans ce choix puisque la journaliste de Radio Classique poursuit : « C’est d’ailleurs le choix qu’Emmanuel Macron avait fait dans le cadre des Élections Classiques 2017 organisées par Radio Classique ! »
« C’est l’un de mes opéras préférés » avait-il dit. « J’aime beaucoup ce personnage de Don Juan qui est un homme de liberté. Il y a derrière ce personnage quelque chose qui relève de notre histoire et qui est fondamental, c’est cet amour immense pour la liberté ».
Si l’on examine maintenant les paroles qui ont été chantées, leur contenu donne à réfléchir. D’abord resituer l’air dans ce premier acte : Don Juan a déjà séduit plus de « mille e tre » femmes et tué le Commandeur, un père qui voulait défendre sa fille et sa maison. Au passage d’une noce de campagne, il entreprend à présent de séduire la mariée, Zerline, qui tout d’abord proteste : « Mais seigneur, je lui ai donné ma parole de l’épouser. – Une telle parole ne vaut même un zéro. Vous n’êtes point faite pour être paysanne… »
Avec l’aide de son serviteur, il fait éloigner le futur mari par des paroles, puis en le menaçant de son épée. Don Juan esquive les rencontres avec les personnages qu’il a gravement offensés et retrouve son valet. Celui-ci, qui songe à le quitter lui a tout de même bien préparé les choses : il a fait boire les gens de la noce, bref, préparé le poulailler pour le renard. Don Juan l’en félicite :
– Bravo, bravo, archibravo ! L’affaire ne peut aller mieux. Tu l’as commencée, je saurai la terminer. Ces petites paysannes ne me plaisent que trop ; je veux les divertir jusqu’à ce que vienne la nuit.
C’est alors qu’il chante cet air, une coupe à la main :
– Jusqu’à ce que du vin ils aient la tête échauffée, une grande fête tu feras préparer. Si tu vois sur la place quelque fille, avec toi elle aussi tâche de l’amener. Sans aucun ordre que la danse soit ; qui le menuet, qui la follia, qui l’allemande tu feras danser. Et moi pendant ce temps sur un autre chant avec celle-ci ou celle-là je veux batifoler. Ah, ma liste demain matin d’une dizaine tu devras augmenter !
Don Juan est celui qui fait éclater les alliances, se moque des fidélités, met le désordre dans les relations et les places sociales, le désymbolisateur par excellence. La danse même n’obéira à « aucun ordre ». Emancipé de toute loi, il veut, par séduction ou par force, les avoir tous sous son emprise. Ses paroles d’amour : ruses de chasseur. Il parvient à faire changer d’avis certains personnages, leurs désirs s’égarent ou sont impuissants – le valet voudrait partir mais ne le peut, Zerline d’abord assez séduite, puis consciente du danger, n’arrive plus à être crue et ne peut plus qu’avoir peur de cet homme qui dira plus tard : « Je ne souffre pas d’opposition. » Finalement, la seule opposition que Don Juan ne pourra ni séduire, ni fuir, ni supprimer, ce sera la mort.
L’effet Don Juan ?
Dans la marche qui doit permettre à la France de dépasser le clivage gauche-droite et le chamboulement qui l’accompagne, on peut voir un bénéfice, celui qui était recherché : une sortie du vieux système des partis, une heureuse recomposition du paysage politique, la liberté pour des responsables de changer d’avis, un regroupement des personnes qui ont plus en commun que le système précédent ne permettait de le voir. Un nouveau rassemblement pour une action nouvelle.
Cependant, on peut aussi, librement, s’interroger : n’y aurait-il pas « en même temps » un effet Don Juan ? Parmi les acteurs politiques, certains semblent non seulement rompre des fidélités à d’autres, mais encore à eux-mêmes, disant aujourd’hui publiquement le contraire de ce qu’ils ont publiquement professé hier et, pour rejoindre le Président, modifier les engagements donnés à ceux qu’ils représentaient hier encore ? Une question : quel rapport entre Emmanuel Macron et Don Juan ?
Pour cela, on peut revenir, en l’écoutant cette fois, à l’interview d’Emmanuel Macron menée par Guillaume Durand (Radio Classique). J’en retiens deux moments :
Emanuel Macron. – … Mais en même temps, qu’est-ce que la France ? c’est une aspiration à l’universel, c’est une volonté d’autonomie des indi… , c’est un pays qui a son histoire, qui a d’abord été judéo-chrétienne, qui s’est émancipée de celle-ci, qui s’est nourrie… mais à chaque instant la France, elle est elle-même quand elle aspire à l’universel, à un peu plus qu’elle. […]
Guillaume Durand : – Voilà la musique que vous avez choisie, comme tous ceux qui viennent nous voir ce matin. (Radio Classique fait alors entendre le début de l’Air du champagne.)
GD – Pourquoi vous avez choisi ça ?
EM – Parce que c’est l’un de mes opéras préférés, parce que j’aime beaucoup le personnage de Don Giovanni ou de Don Juan. Qui est un homme de liberté. Ça, c’est ce qu’on appelle l’air du champagne. Il y a… il finit mal, hein ?…
GD – C’est pour ça. Je trouve ça bizarre que vous ayez choisi ça…
EM – Mais parce qu’il y a dans le personnage de Don Giovanni quelque chose…
GD – … parce qu’on a beaucoup dit : Macron, c’est un séducteur, c’est Don Juan…
EM – Non mais ça, ça ne m’intéresse pas tellement, vous savez… mais parce qu’il y a … dans la politique… on confond la séduction et la conviction, la volonté de convaincre. Mais il y a derrière ce personnage quelque chose qui relève de notre histoire et qui est fondamental, c’est cet amour immense pour LA LIBERTÉ !
Cet air inscrit dans les réjouissances de l’élection présidentielle peut-il aussi nous avertir d’un danger, puisque c’est le chant d’un homme qui « finit mal » (titre original : Il dissoluto punito ossia Don Giovanni) d’après celui-là même qui nous le fait entendre ?
Si c’est un avertissement, comment le déchiffrer et lui répondre ? Le président nous dit-il : ne me laissez pas aller au devant de la punition de Don Juan, ne me laissez pas vous défaire ? Si tel est le cas, merci, Monsieur le Président, merci de nous prévenir. Car ce n’est pas Don Juan qui a été élu Président de la République française, c’est vous.
Analyse hélas trop réelle. La France s’est donnée pour maître un séducteur cynique…Pauvre Zerline… Où est le « trio des masques » qui la sauvera ?
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Il y a… il finit mal, hein ?… Guillaume Durand aurait pu laisser le Président dire la suite …
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Ce roquet de Maquereau trouvera bien tôt son maître…
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Donjuanisme de notre president, L’analyse est plus raffinée mais aussi perplexe et inquiète,quoique tout à fait moins outrée que « l’homme de Rothschild « , le produit marketing ou,sur un autre registre,Napoleon sous Bonaparte.Tant il est vrai que l’homme semble autant être saisissable par quelques traits -ne les récusons pas tous- et échapper,jusqu’alors, à toute tentative d’interprétation trop hâtive! Sans doute est-ce qu’au-delà de sa personne et de sa personnalité,qui comptent,il est l’incarnation d’un mouvement plus profond dans l’histoire et dans l’histoire de la politique: à la fin des grands récits (l’islamisme ni l’hyper-liberalisme jamais ne remplaceront le marxisme défunt,dernière des theleologies humaines) correspond la desideologisation du monde qui n’affronte plus aucune statue du commandeur en place d’Autre et s’en trouve dès lors obligé à se réinventer une humanité robot compatible. Il ne sera,en effet,pas assez de seulement aller là contre!
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