Article écrit par Laurent Ottavi.
Un mois après la sortie du livre du prix Nobel Joseph Stiglitz contre la monnaie unique, les éditions du Rocher avaient fait paraître en octobre un ouvrage collectif L’euro est-il mort ? auquel avaient contribué des économistes, universitaires et praticiens, qui, bien que venant d’horizons idéologiques différents, ont tous en commun de défendre une sortie de l’euro. Un livre à lire, au moment où certains économistes estiment que la victoire du « non » au référendum italien risque de déclencher une bombe à retardement en zone euro.
Contrairement à ce qu’indique la page de couverture, cet ouvrage n’a pas été écrit sous la direction de Jacques Sapir, qui a uniquement contribué à deux des articles. C’est Jean-Pierre Gérard, ancien membre du Conseil de la politique monétaire et président de l’Institut Pomone, qui a ressemblé ces textes, dont la lecture ne souffre pas la redondance et peu l’incohérence malgré les analyses différentes des auteurs.
Parmi eux, on trouve des économistes français depuis longtemps opposés à l’euro, comme Gérard Lafay et Jean-Jacques Rosa, mais aussi, c’est un des grands intérêts de ce livre, des économistes grec, italien et espagnol qui analysent l’impact de la monnaie unique sur l’économie de leurs pays et ses conséquences sociales.
Le constat est vertigineux : en suivant la trajectoire actuelle et en l’absence très improbable de nouvelles crises, il faudra attendre vingt-cinq ans pour que la Grèce descende sous la barre des 10% de chômage, idem pour que l’Espagne retrouve un niveau de chômage semblable à celui d’avant la crise.
L’euro est condamné
La qualité des analyses rassemblées ici aurait toutefois mérité un titre plus adéquat. Le propos ici est moins de répondre à la question « l’euro est-il mort ? » que de montrer en quoi il est néfaste aux économies et aux peuples, condamné à mourir étant donné l’impossibilité d’une solidarité européenne qui a pour nom fédéralisme, et d’exposer les conditions et mesures pratiques d’une sortie ou dissolution de la monnaie unique.1
Les auteurs montrent clairement, que seule une union politique dont rêvaient les fédéralistes français2, aurait pu faire fonctionner l’euro. Le clivage austérité / relance posé depuis quelques années ne servant qu’à masquer le nœud du problème, qui a été parfaitement résumé par l’économiste Michel Aglietta dans son livre Eclatement ou fédération.
Le fédéralisme permettrait d’opérer des transferts financiers entre les pays, comme entre Etats aux Etats-Unis (le Texas et le Michigan par exemple) ou entre régions en France pour compenser les divergences entre les économies que toute monnaie unique aggrave.
On en arrive ainsi à ce paradoxe que les économies des pays convergeaient davantage avant la création de l’euro, quand les pays pouvaient s’ajuster entre eux par des dévaluations, que depuis 2002.
Parler de crise de l’euro est un non-sens dans la mesure où l’euro est en crise permanente faute de cette solidarité interétatique dont il est orphelin.
Or la « solution par le haut » du fédéralisme ne résiste pas à l’épreuve du réel. L’Allemagne devrait contribuer à hauteur d’environ 10% de son PIB chaque année pour financer les autres pays. Ce serait pour elle un suicide économique, après avoir déjà subi le choc de sa propre réunification. C’est sans compter également qu’il n’existe pas de solidarité intra-européenne du fait de la persistance du sentiment et du fait national.
L’euro est donc la monnaie d’une Europe qui n’existe pas, « une monnaie sans visage » pour reprendre l’expression d’Hervé Juvin, l’un des contributeurs.
Il est lourd de contradictions insurmontables, en accentuant les divergences entre les économies au profit des pays du Nord3, qui sont les conditions mêmes de sa destruction4.
Comme toute négation de l’Histoire, il est donc condamné à l’implosion. Ce qui constitue l’argument premier en faveur d’une sortie de l’euro : mieux vaut anticiper ce qui est certain de se produire.
« Reprise » et méprise
La stratégie des autorités européennes et du gouvernement allemand consiste depuis 2009, soit l’année de la révélation de l’ampleur du déficit grec, à repousser l’échéance inéluctable de l’implosion de l’euro, à l’aide de plans dit de « sauvetage » et des interventions de la BCE. Sans elles, l’Espagne et l’Italie se seraient effondrées, emportant l’euro.
Depuis début 2015, plusieurs facteurs ont contribué à un apaisement sur les marchés. Il s’agit de la baisse de l’euro face au dollar, de la baisse du prix du baril du pétrole et, donc, de la politique monétaire de la BCE.
Mais le défaut originel de l’euro, à savoir celui d’une monnaie sans nation, n’ayant pas été réglé, le problème reste entier. Il convient aussi d’observer que, malgré les quelques améliorations que l’on peut observer, les niveaux de chômage dans les pays du Sud restent extrêmement préoccupants.
Quelle sortie de l’euro ?
Il est donc nécessaire de questionner cette sortie de l’euro qui, si elle n’est pas suffisante au redressement de l’économie, n’en est pas moins sa condition indispensable, afin de retrouver un mécanisme d’ajustement des économies entre elles autre que la variable travail.
Elle est présentée comme une catastrophe économique par ses opposants mais l’un des contributeurs note à raison que tous les effets qu’ils dénoncent sont ceux que la monnaie unique a d’ores et déjà provoqué : hausse de l’endettement et du chômage, rivalités entre les peuples, destruction de l’idée européenne.
Il faut aussi rappeler que sortir d’une zone monétaire n’a rien de nouveau. Plus de cent fins d’unions monétaires (Autriche Hongrie, URSS, Tchécoslovaquie, etc.) se sont produites au XXe siècle. L’économiste anglais Jonathan Tepper en a étudié soixante-neuf et il en a déduit qu’elles ont eu « un impact économique négatif limité ».
Les auteurs divergent sur les mesures devant accompagner une sortie de l’euro. Les économistes libéraux estiment que toute politique protectionniste serait contre-productive, et que l’échec de l’euro est caractéristique du néodirigisme. Les économistes plus keynesiens, au contraire, pensent que la sortie de l’euro s’intègre dans une politique protectionniste permettant de dynamiser la production nationale et de relocaliser les emplois.
La confrontation de ces différents points de vue concernant une sortie de l’euro est le grand apport de ce livre, dont il constitue toute la seconde partie.
Faut-il mettre en place un contrôle des capitaux ? Le système productif, affaibli par plusieurs décennies de désindustrialisation, sera-t-il assez fort pour permettre une forte croissance économique, et donc diminuer le chômage ? Quels seraient les contours d’un nouveau Système monétaire européen fondée sur la coopération monétaire et non plus la subordination à un nouveau mark ?
Ce sont tous ces enjeux cruciaux que posent les contributeurs. Ils montrent, par-là, que la sortie de l’euro ne doit pas être pensée indépendamment d’un nouveau cadre économique et politique. Ce point n’est pas ou peu soulevé dans ces articles mais il est évident que l’Union européenne ne résisterait pas à une fin de l’euro, et qu’une refondation de l’Europe à partir des nations en est la conséquence à la fois logique et souhaitable.
1 Le livre ne s’attarde pas en revanche sur les causes qui ont présidé à la création de l’euro, celles-ci ayant déjà fait l’objet de très nombreuses études, dont la plus juste est à notre sens celle qu’a fait une non-économiste, en se replaçant dans le long cours de l’histoire politique européenne. Voir Impostures politiques, Marie-France Garaud, Plon, 2010. On trouvera des références à ses travaux ici : « la fin de l’euro ou revanche de l’histoire / partie I – le défaut d’origine : une monnaie sans nation » (http://www.libertepolitique.com/Actualite/Decryptage/La-fin-de-l-euro-ou-la-revanche-de-l-Histoire-I-III-une-monnaie-sans-nation).
2 Jacques Attali, cité dans le livre, expliquait le 23 septembre 2011 sur le plateau de BFM Business : « quand on a fait les euros, on savait qu’ils disparaitraient dans les 10 ans si on n’avait pas un fédéralisme budgétaire. C’est-à-dire des eurobonds, mais aussi une taxation européenne, mais aussi un contrôle des déficits. On le savait. Parce que l’histoire le montre. Parce qu’il n’y a aucune zone monétaire qui survit sans un gouvernement fédéral. (…) Mais il était évident que cette crise allait arriver, tout le monde le savait ».
3 Pour voir en détail comment l’euro a accentué les divergences entre les économiques européennes, voir : « la fin de l’euro ou la revanche de l’histoire / partie II : 2002-2009 : divergences économiques » (http://www.libertepolitique.com/Actualite/Decryptage/La-fin-de-l-euro-ou-la-revanche-de-l-Histoire-II-III-2002-2009-les-divergences-Nord-Sud).
4 L’économiste Jean-Jacques Rosa parle d’« un système par nature autodestructeur ».