Eric Delbecque est membre du Conseil scientifique du CSFRS, Président d’honneur de l’Association pour la compétitivité et la sécurité économique, membre du Comité Orwell. Il est notamment l’auteur de Idéologie sécuritaire et société de surveillance (Vuibert, décembre 2015)
Les commentaires des journalistes et les déclarations des hommes politiques dès les premières estimations du second tour des régionales démontrent que rien ne va changer… Malgré 6,8 millions de votants FN… On se réjouit que les candidatures de la famille Le Pen aient échoué sans comprendre que la lame de fond du FN pulvérise la structure et la signification de l’espace politique.
L’histoire – lorsqu’on en fait l’objet de ses méditations – est une école de lucidité. Elle informe la passion prométhéenne de l’homme et peut – parfois – le préserver de quelques erreurs : il en commettra déjà suffisamment. Connaître le passé n’empêche pas d’être souvent réduit à l’impuissance. Mais l’ignorer nous conduit inéluctablement à la catastrophe : n’oublions jamais que l’identité n’est rien d’autre que la mémoire. Pourtant, les élections régionales nous démontrent une fois de plus que nos élites n’apprennent pas grand chose de ce que la réalité leur offre en pleine lumière. Une nouvelle fois elles justifient le diagnostic implacable et juste que faisait Olivier Bardolle il y a plus de dix ans : « Notre société a choisi le retour à l’enfance pour se rendre la vie supportable. La lucidité, la « mort de Dieu », le nihilisme début de siècle, le penchant pour le Rien et le Vide, la confrontation avec le Néant, mais aussi, paradoxalement, l’héritage des Lumières, le rêve hégélien, le progrès en marche, les sciences et les techniques font peur et déçoivent. Alors, l’humanité préfère retomber en enfance. Ce sont donc les valeurs de la maternelle qui prédominent : la quête de l’innocence, le goût de la fable et du merveilleux, la pensée manichéenne, l’hypersensibilité à l’injustice, l’obsession du jeu, pour donner le change, faire semblant. Le réel est décidément trop dur. Mieux vaut Disneyland que Verdun. » (Olivier Bardolle, Le monologue implacable. Ramsay, 2003) L’antifascisme de bazar ressasse ses vieilles rengaines sans apporter l’ombre d’une proposition à l’exaspération populaire.
Alors que le pays se fracture et se réorganise en profondeur, c’est-à-dire dans sa culture politique fondamentale, les commentateurs habituels installent le circonstanciel en victoire idéologique. C’est une erreur stratégique grave de prétendre que la technique du front républicain a fonctionné. Tout un chacun peut constater que le « rassemblement bleu marine » progresse méthodiquement. Le tripartisme gagne du terrain dans les faits et dans les têtes. Le vote FN n’est plus tabou.
Les élections constituent en réalité un échec pour le clivage droite/gauche classique. A chaque nouvelle échéance électorale, il devient encore plus clair qu’à la précédente que les citoyens ne font plus la différence entre les deux camps.
Seul s’affirme la montée en puissance du Front national parce qu’il symbolise le rejet en bloc de tout le système actuel. Avec 30 % des voix et 358 élus, La Croix avait raison de parler de « défaite pour tous ». Guillaume Goubert en particulier évoque « le risque de soulagement ».
Les observateurs qui se livrent à des diagnostics rassurants sur le plafond de verre du FN manquent quelque chose d’essentiel : l’exaspération d’un corps électoral qui ne raisonne plus mais éprouve une telle détestation de la classe politique qu’il ne se préoccupe plus de la « tenabilité » des propositions du partie de Marine Le Pen.
Il en découle que le seul enseignement susceptible d’être entendu par la classe politique, à gauche et pour une partie des Républicains, est qu’il faudrait entendre la détresse socio-économique des électeurs du FN. Certes c’est un point capital, mais qui ne rend absolument pas compte de l’ensemble de leur motivation. De la question du chômage à celle de la lutte contre le terrorisme en passant par la crise du civisme, c’est une certaine idée de la nation, et du pouvoir politique comme capacité de transformation du réel, que le vote frontiste pose de manière brutale. Mais personne ne semble, parmi nos décideurs, prendre la véritable mesure de la crise de civilisation qui se joue. Espérons qu’un sursaut est encore possible…
Notre classe politique est celle des paresseux qui se contentent de peu. Pas de création, pas de choses nouvelles, aucun système nouveau, pas un essai, rien, le vide, le néant. D’ailleurs, ils ignorent le sens de la vie. Ils ont tronqués la spiritualité contre la matérialité qui conduit à combler le vide et n’offre aucune valeur tangible et humaine.
Relisons « Promontoire » de Rimbaud, y voir l’accumulation du dérisoire des choses pour combler le néant de la vie.
Quand nos politiques réenchanterons notre nation par un appel simple au bonheur et poserons de vrais actes humains pour y entrer alors un nouveau temps viendra.
D’ici là, tentons là où nous sommes de nous aider, de nous soutenir entre humains et d’interpeller nos hommes et femmes politiques sur un projet à notre hauteur.
J’aimeJ’aime